L’éviction de l’auteur de violences conjugales en période de crise sanitaire COVID19
Paris, le 2 avril 2020
L’éviction de l’auteur de violences conjugales est désormais possible à tous les stades de la procédure, y compris dans le cadre civil de l’ordonnance de protection. En cette période de crise sanitaire, et malgré les difficultés matérielles rencontrées par les juridictions comme par leurs partenaires habituels, la protection des victimes de violences conjugales demeure une priorité nationale et le recours à l’éviction de l’auteur de violences conjugales doit être maintenu. Cette fiche pratique s’attache à préciser les conditions dans lesquelles l’éviction du conjoint violent peut être prononcée dans le cadre des alternatives aux poursuites, au stade présentenciel et dans le cadre civil. Elle présente également le dispositif exceptionnel de places d’hébergement mis en place pendant la période de confinement et la procédure à suivre.
L’éviction du conjoint violent est une réponse privilégiée en matière de violences conjugales, conformément aux recommandations de la circulaire du 9 mai 2019 relative à l’amélioration du traitement des violences conjugales et la protection des victimes.
La circulaire du 25 mars 2020 de présentation des dispositions applicables pendant l’état d’urgence sanitaire et relative au traitement des infractions commises pendant l’épidémie de Covid-19 invite les procureurs à maintenir des réponses pénales permettant l’éviction du conjoint violent dans les situations qui le justifient. L’éviction peut être doublée, quand la situation de danger le justifie, de l’octroi d’un téléphone grave danger à la victime.
1. L’éviction prononcée dans le cadre pénal
Si l’éviction du domicile conjugal est envisagée par le parquet, des vérifications préalables doivent être effectuées. Si le mis en cause mentionne aux enquêteurs la possibilité d’un hébergement chez un tiers (solution familiale ou amicale), l’association ou le SPIP en charge des enquêtes sociales rapides doit être mandaté pour vérifier notamment l’adresse précise, la faisabilité au regard de l’adresse professionnelle, la composition du logement envisagé et l’accord de l’hébergeant – et ce y compris lorsque aucun défèrement n’est envisagé.
A défaut de solution envisageable dans l’entourage du mis en cause, le service sera saisi au plus tôt, le cas échéant pendant le temps de la garde à vue, pour trouver un hébergement alternatif en urgence.
Compte tenu du risque épidémique, une telle solution doit être examinée avec une attention particulière afin d’éviter tout contact avec une personne susceptible d’être porteuse du virus COVID19. Elle ne doit évidemment pas être envisagée si la personne mise en cause présente elle-même des symptômes évocateurs de la maladie, auquel cas un hébergement individuel devra être recherché (nuitée d’hôtel).
A titre subsidiaire, les enquêteurs pourront être sollicités pour effectuer de telles vérifications, en l’absence de possibilité de faire diligenter une enquête sociale rapide.
L’avis de la victime sur l’éviction devra être recueilli préalablement par les enquêteurs lors de son audition ou par l’association d’aide aux victimes mandatée pour ce faire (article 41-1 6° CPP).
L’éviction dans le cadre d’une mesure alternative aux poursuites
L’éviction peut être prononcée par le procureur à titre d’alternative aux poursuites (article 41-1 6° CPP)
L’éviction peut également ordonnée par le procureur dans le cadre d’une composition pénale, validée par le juge du siège (article 41-2 14° CPP)
L’éviction au stade présentenciel
L’éviction du conjoint violent peut être prononcée comme modalité du contrôle judiciaire ou de l’assignation à résidence sous surveillance électronique (article 138-17° CPP)
L’interdiction de paraître au domicile conjugal pour être pleinement efficiente doit être doublée :
– d’un suivi socio-éducatif par une association conventionnée afin d’assurer une prise en charge globale du prévenu en amont de l’audience ;
– d’une notification dans les meilleurs délais de l’ordonnance de contrôle judiciaire au commissariat ou à la brigade compétente en raison du domicile conjugal ;
– d’une obligation de pointage au commissariat ou à la brigade compétente pour le nouveau domicile du mis en cause ;
La victime peut se voir proposer le cas échéant un téléphone grave danger afin d’alerter les forces de l’ordre en cas de violation de l’interdiction de paraître (cf. fiche Focus sur le TGD).
Tout manquement doit donner lieu à une réponse judiciaire, qui peut être graduée : d’une convocation par les forces de l’ordre pour audition, à une rétention suivie d’un défèrement en vue d’un débat de révocation.
L’ éviction pendant la phase de jugement : l’ajournement avec mise à l’épreuve (article 132-64 CP)
Le tribunal peut ajourner le prononcé de la peine pendant une durée d’un an maximum et soumettre dans ce délai le condamné à une mise à l’épreuve comportant les obligations particulières prévues par l’article 132-45 CP.
L’éviction au stade postsentenciel (à paraître)
2. L’éviction prononcée dans le cadre civil
L’éviction peut être prononcée par le juge aux affaires familiales dans le cadre de l’ordonnance de protection (article 515-11 du code civil). Elle peut être requise par le ministère public partie principale ou partie jointe à l’instance. La requérante peut également demander une domiciliation chez un tiers (avec son accord exprès) ou auprès d’un service enquêteur.
Elle peut également résulter d’une décision d’interdiction de contact ordonnée dans un autre Etat membre de l’Union européenne.
La violation de ces mesures est une infraction passible de 2 ans d’emprisonnement et 15000 euros d’amende (article227-4-2 du CP).
L’inscription au fichier des personnes recherchées (F.P.R.) (article 230- 19 CPP) est faite dans les meilleurs délais quel que soit le cadre juridique de l’éviction.
3. Le dispositif exceptionnel d’hébergement à destination des conjoints violents évincés du domicile conjugal en période de confinement COVID19
Dans la période d’urgence sanitaire qui engendre le confinement de la population, le système d’hébergement d’urgence est très sollicité malgré les moyens supplémentaires dégagés par le gouvernement.
Néanmoins, l’éviction des conjoints violents demeure un enjeu essentiel pour la protection des victimes. Pour pouvoir prononcer l’éviction des conjoints violents dans cette situation, le ministère de la justice et le secrétariat d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes ont convenu de la mise en place d’une procédure exceptionnelle et temporaire permettant à l’autorité judiciaire de s’appuyer sur des solutions concrètes et immédiates d’hébergement.
Ce dispositif exceptionnel n’a pas vocation à se substituer aux dispositifs existants mais à répondre aux besoins exprimés par les territoires en cette période de crise.
Un opérateur unique, l’association Groupe SOS Solidarités servira de point d’entrée pour la recherche d’un hébergement pour le conjoint violent visé par une décision judiciaire d’éviction. L’association Groupe SOS Solidarités pourra être jointe par courriel à l’adresse suivante : eviction@groupe-sos.org. Le mail devra préciser le cadre de la demande (garde à vue en cours, audition libre, défèrement) et la mesure envisagée (alternative aux poursuites, composition pénale, contrôle judiciaire) et indiquer si possible un délai de réponse souhaité. Le courriel sera traité du lundi au samedi de 9h à 17h par l’intervenant de l’association qui se mettra en relation avec le SIAO ou, à défaut de place disponible, avec la plateforme hôtelière pour trouver une place d’hébergement. La réponse sera adressée par retour de courriel à l’autorité requérante sans délai. Une coordination sera aussi mise en place avec les acteurs spécialisés dans le suivi des auteurs (Fédération Citoyens et Justice et FNACAV) pour permettre le suivi des prévenus placés sous contrôle judiciaire. Concernant les personnes condamnées, le dispositif devrait être prochainement mis en place.
La saisine de l’opérateur se fera selon la procédure suivante :
– au pénal :
Le parquet, lorsqu’il envisage d’ordonner l’éviction du conjoint dans le cadre d’une alternative aux poursuites, d’une composition pénale, ou de la requérir dans le cadre d’un contrôle judiciaire saisit à cette fin l’opérateur, dans les meilleurs délais, par le biais de l’association ou le SPIP en charge de l’enquête sociale rapide, ou à titre subsidiaire par le biais des enquêteurs.
S’agissant des personnes condamnées, le circuit de saisine sera précisé prochainement.
– au civil :
L’éloignement du conjoint violent décidé par le juge est possible pendant toute la durée de l’état d’urgence sanitaire. Lorsque le juge aux affaires familiales décide d’attribuer le logement familial au demandeur et que le défendeur a indiqué au juge n’avoir aucun lieu d’hébergement, la juridiction (greffe ou JAF) contacte l’association Groupe SOS Solidarités.
Dès le retour de l’association, l’adresse du logement indiquée par cette dernière pourra alors être précisée dans l’ordonnance de protection. Le défendeur pourra ainsi se déplacer pour rejoindre ce logement, muni de l’ordonnance de protection et de l’attestation de déplacement dérogatoire mentionnant le motif « déplacement pour motif familial impérieux » (sur ordre du juge de quitter le domicile familial pour se rendre dans un autre lieu de résidence).